Bernard Manciet a construit son œuvre dans deux langues, l'occitan gascon, et le français. L'une ne se réduisait pas à l'autre. Chacune des deux langues charriant son imaginaire, son émotion, sa texture, et plus encore, un ordre du monde, et un monde sans ordre dans lequel la poésie en particulier, la littérature en général, pouvait se travailler. En poète, il savait que chaque langue est un corps, et qu'il faut entrer dedans pour s'y mouvoir. En poète, aussi, il refusait l'esprit de chapelle et les querelles agitant les partisans d'une langue pure, d'un occitan normé. Car une fois que le poète est dedans, la langue, il la bouscule. Il en attise « le feu ».
« je suis un renard de la langue, disait-il en 1997, et avant d'arriver à faire rentrer un renard dans une cage... »
En poète enfin, il savait que la langue est d'abord un son, une matière à prononcer, clamer, éructer chuchoter, et que c'est dans cette mise en voix qu'elle donne son possible. Aussi a-t-il souvent lu lui-même ses textes, accompagné, parfois, de musiciens. Le voici lisant l'incipit du Gojat de Noveme (Le jeune homme de novembre).
S'il a souffert de ce que l'occitan – qu’il préférait parfois appeler gascon mais dénommait finalement langue d’oc ou occitan, eu égard à ces interlocuteurs – soit enfermé dans une logique de territoire – une façon aimable de la considérer non pas seulement minoritaire mais mineure – il faisait sien son attachement à la terre. Car toute langue est viscérale. Plus que militant, sa persévérance dans la construction d'une œuvre en gascon correspondait à l'enjeu d'un écrivain qui travaille sa langue – et c'est en cela, et en cela seul, que son engagement était politique : tout regard d'écrivain est en soi politique car il est une façon d'être au monde.